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Madifing Diané : « La France regrettera toujours d’avoir perdu la Guinée. Elle ne s’est jamais consolée de cette perte »

Il y a 50 ans jour pour jour, la Guinée était victime d’une agression armée menée depuis l’extérieur. A l’époque, l’actuel gouverneur de Labé était dans sa première année de service à la Présidence de la République sous le régime de Sékou Touré. Ancien directeur des renseignements généraux sous la révolution, ancien ministre de la Sécurité, Madifing Diané qui connait bien les rouages de l’administration guinéenne, s’est prêté aux questions d’Africaguinee.com sur un pan de l’histoire de notre pays. L’agression portugaise du 22 novembre 1970.

Le gouverneur révèle l’implication des puissances occidentales, notamment la France, le Portugal dans des opérations de déstabilisation de la Guinée. «Hier comme aujourd’hui, le peuple reste débout pour défendre sa souveraineté», a-t-il rassuré. Dans cette interview choc, Elhadj Madifing Diané parle sans détour. Il  fait un grand déballage.

AFRICAGUINEE.COM : Pourquoi il y avait eu cette agression contre la Guinée ?

MADIFING DIANE : Du point de vue historique, la Guinée s’est illustrée comme le seul territoire colonial à avoir voté ‘’Non’’ le 28 septembre 1958. L’administration française sortie de la deuxième guerre mondiale et de sa guerre en Indochine, au Viêtnam, au Cambodge et de l’Algérie, la France était presque coupée de toutes ses ressources et elle a eu des conditions de vie pénibles. L’espoir de la France pendant cette période reposait essentiellement sur ses colonies. Et la Guinée en Afrique occidentale française était le territoire le plus riche parce que Dieu nous a dotés des ressources naturelles fabuleuses et diverses. Le sol et le sous-sol de la Guinée était l’espoir de la France pour se relever après son désastre de guerre.  Malheureusement pour la France, la Guinée a voté ‘‘NON’’ à la colonisation et a ouvert la voie à l’indépendance à toutes les anciennes colonies de l’Afrique occidentale française et équatoriale française. C’est un aspect qui a mis la Guinée au banc des accusés qui devaient être châtiés par tous les moyens.

Notre indépendance acquise, la Guinée s’était inscrite dans le bloc Soviétique face au bloc occidental regroupant les européens avec les Etats-Unis en tête. La politique guinéenne comme l’a dit Ahmed Sékou Touré, la Guinée ne sera jamais indépendante tant qu’un territoire de l’Afrique reste sous domination coloniale. A cette époque, le Portugal gardait encore ses colonies, la Grande Bretagne gardait la Rhodésie actuel Zimbabwe et l’Afrique du Sud exerçait sa politique d’apartheid. L’indépendance de la Guinée a été une aubaine pour les mouvements de libération. Le PAIGC avec son leader Amilcar Cabral a fait de la Guinée sa base. Les chefs des autres mouvements de libération de Mozambique, de l’Angola, de l’ANC y compris Miriam Makeba, tous avaient des passeports diplomatiques guinéens.

La Guinée était un point d’appui sûr pour l’ensemble des mouvements de libération de l’Afrique. D’ailleurs le cas de l’apartheid a été évoqué pour la première fois aux Nations-Unies par Miriam Makeba qui faisant partie de la délégation officielle de la Guinée à l’Assemblée générale de cette période. C’est un aspect qui présentait la Guinée comme un pays dangereux. Comme je l’ai évoqué aussi, notre richesse est notre problème jusqu’aujourd’hui. La France regrettera toujours d’avoir perdu la Guinée. Elle ne s’est jamais consolée de cette perte. Et nous avons été très mal perçus.  Cette agression a plusieurs facteurs à la fois politique, économique et surtout le caractère du leader qui nous a amené à l’indépendance. Cette réalité faisait que ce régime était à abattre par tous les moyens.

Quel était l’objectif principal de cette agression ?

Les agresseurs espéraient que cette agression allait réussir. Des investissements majeurs ont été faits en Côte d’Ivoire, notamment le port de San Pedro qui, à l’origine, devait être un port minéralier pour transporter le minerai de fer du Mont Nimba en Guinée. Le Mont Nimba est partagé entre la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Libéria. Mais presque les quatre cinquièmes appartenaient à la Guinée. Ce minerai de fer était une convoitise majeure pour l’occident. Le port de San Pedro a été réalisé dans l’espoir que si l’agression réussissait, cette partie revenait à la Côte d’Ivoire afin de pouvoir exploiter et exporter le minerai sans problème. Pour expliquer pourquoi l’agression, il faut ressortir l’aspect historique, politique et économique de la Guinée. A mon avis, c’est la conjonction de ces trois faits qui ont motivé l’agression. Si l’agression réussissait, il fallait coûte que coûte mettre fin à cette base des mouvements de libération, le PAIGC essentiellement. On mettait fin déjà à la base des mouvements de libération à travers le monde, mais aussi un frein total à la lutte de l’indépendance des pays africains notamment le Cap-Vert et la Guinée Bissau. La certitude en eux était que, ce qui est une illusion de ceux qui nous ont combattus, ils présentent toujours le chef comme quelqu’un qui est séparé de sa population. Ils pensaient qu’il suffit d’un petit soulèvement pour que le peuple accompagne pour mettre fin au régime. Ils se sont installés dans cette conviction. Ils ont fait du Portugal qui avait un intérêt particulier parce qu’il s’agissait du PAIGC et de son leader, ils sont venus et le peuple les a freinés dans leur volonté de nuire.

Quelle était la situation de la Guinée à l’époque ?

C’était quelque chose de très planifié. Vous savez que nous sommes fondateurs de l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal (OERS) appelée aujourd’hui Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). L’OERS a été créée en 1968 à Labé par les président Ahmed Sékou Touré, Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Mouctar Ould Dada de la Mauritanie et Modibo Kéita du Mali. Cela aussi c’est une belle histoire de la Guinée parce que nous n’avons pas la même vision politique que le Sénégal. La Mauritanie qui était comme une province du Sénégal, au lendemain de son indépendance, n’ayant pas de ressources, le président Ould Dada est venu se confier à la Guinée. Les cadres qui ont construit la Mauritanie dans tous les secteurs de développement socioéconomique sont tous des Guinéens, les premières promotions d’ingénieurs, des écoles nationales de la santé, leurs descendants sont là-bas. Je les ai rencontrés quand j’étais ambassadeur au Sénégal. Leur orchestre et tout et même l’entraîneur mauritanien de l’équipe de football était guinéen.

Ould Dada est donc venu demander à la Guinée d’accepter de leur offrir cette opportunité de développement parce que le seul fleuve qui passe dans leur pays pourra, au moins, nourrir sa population. Malgré notre divergence avec le Sénégal, le président Sékou Touré a accepté de convaincre Modibo Kéita et Ould Dada s’est chargé de convaincre Senghor. D’où la naissance de l’OERS à Labé en mars 1968. Des visions majeures comme celles qu’avait ‘Ahmed Sékou Touré à l’époque étaient une menace pour le colon parce que l’indépendance est acquise dans une situation de mésentente entre les leaders africains qui luttaient chacun soit pour une autonomie totale ou partielle soit pour l’indépendance. La Guinée seule a opté pour l’indépendance. Et la France s’est vue dans l’obligation de donner, deux ans après, l’indépendance aux autres territoires de l’Afrique occidentale et équatoriale.

Mais dans un ensemble qui leur donnait la possibilité de regarder ce qui se passe à l’intérieur de ces Etats. Le symbole le plus éloquent est le Franc Cfa. La même année qu’on a créé l’OERS, Modibo Kéita a été renversé le 19 novembre 1968 par le lieutenant Moussa Traoré.  La perte de Modibo Kéita qui était l’allié de Sékou Touré dans cet ensemble a amené la Guinée à se retirer de l’OERS. Senghor a pu prendre en marche pour faire venir le nouveau le nouveau chef de l’Etat du Mali, Moussa Traoré et Ould Dada qui avait un besoin majeur sur le fleuve Sénégal, les trois ont accepté de créer l’OMVS que la Guinée a rejoint il y a quelques années.

Deux ans après la chute de Modibo Kéita, le 19 novembre 1968, la Guinée subissait l’agression du 22 novembre 1970. Ces deux événements sont-ils liés, selon vous ?

L’agression portugaise était dans le même sillage que le renversement de Modibo Kéita, deux ans plutôt au Mali. L’objectif c’était de mettre fin à toute velléité d’émancipation du peuple africain que la Guinée prônait sur l’ensemble du territoire national et aux Nations unies. En réalité, la Guinée était à l’avant-garde des mouvements d’émancipation des peuples colonisés d’Afrique et d’ailleurs.

Expliquez-nous comment s’est déroulée l’agression ?

C’est une conjonction des faits orchestrés par l’occident à la tête le Portugal avec une complicité intérieure et extérieure des fils de ce pays et de certains étrangers qui vivaient en Guinée. Notamment des français, allemands ainsi que d’autres nationalités qui étaient en service. De façon globale qu’on a appelé la 5e colonne. Ça pouvait être des nationaux résidents ou non-résidents tout comme ça pouvait être des étrangers vivant en Guinée. Ils ont été entrainés au Sénégal, en Guinée Bissau avant d’être débarqués à Conakry. Nulle ne peut nier l’agression, comment elle a été organisée ou ignorer ceux qui l’ont organisée. Les gens qui ont participé à l’agression étaient rémunérés par les puissances colonisatrices. Quand ils ont débarqué nuitamment par la mer, ils ont mis d’abord leur effort dans la destruction. Ils avaient la certitude que le président Sékou Touré dormait aux cases de Bellevue. Ils étaient venus casser avec la conviction qu’il serait mort dans cette attaque. Ils ont tiré sur tout ce qui bouge.

L’agression a fait, au minimum, 517 victimes à Conakry, Gaoual et Koundara. La capitale Conakry était l’épicentre, Koundara et Gaoual de par leur proximité à la Guinée Bissau. La certitude était que de renforts pouvaient venir de là-bas pour appuyer ceux qui étaient à l’intérieur. A Conakry, ils ont débarqué à 2 heures par le Port de Conakry et au niveau des débarcadères, notamment à Landréah à Dixinn. Ils ont attaqué le Camp Boiro et exfiltré des prisonniers portugais. L’intérêt du Portugal était de mettre fin à la vie du PAIGC dans le pays dont la base à La Minière, la Société nationale d’électricité faisaient partie des cibles ainsi que les camps militaires. L’aéroport aussi devait être attaqué notamment l’avion militaire.

Quelle a été la réaction Sékou Touré ?

C’est de dénoncer que la Guinée est agressée. Ça a été une déclaration très forte parce que jusqu’à 9 heures du matin, les gens avaient la certitude qu’il est resté dans l’attaque des cases de Bellevue. Le peuple a été galvanisé quand il a entendu sa voix à la radio. La riposte a été populaire. Beaucoup des mercenaires ont été arrêtés dans les comités qui sont l’équivalent des quartiers d’aujourd’hui. Cela a donné à la Guinée l’image d’un peuple qui a défendu son pouvoir. Le peuple de Guinée a toujours été à l’avant-garde de sa souveraineté.

Quelles ont été les conséquences de cette agression ?

Les conséquences c’est l’image la plus négative que les gens veulent coller à la Guinée : les arrestations, les procès et les exécutions qui ont suivi. A ce niveau, toutes les condamnations ont été appréciées de la base au sommet. Le Pouvoir révolutionnaire local (PRL) était la structure la plus avancée dans la prise des décisions. Après avoir été examiné au niveau du PRL, le fait est remonté à la Section qui, à son retour renvoi à la Fédération qui, en dernier ressort, discute en Comité central érigé en Tribunal populaire révolutionnaire qui établit les sanctions pour chaque fait, pour chaque personne. Ce n’était pas le jugement d’une personne, mais celui de tout un peuple.

N’y avait-il pas d’innocentes personnes qui ont été condamnées et pendues à tort ?

Aucune œuvre humaine n’est parfaite. Dire que tous ceux qui ont fait les frais ont tous été auteurs, non. Je peux dire avec certitude qu’il y a eu quand même de gens qui sont morts dedans sans savoir, parfois, de quoi ils sont accusés.  C’est possible. Je le dis avec l’expérience et de conviction. Si ceux qui exécutent sont mauvais, c’est le chef qui en répond. Si ceux qui exécutent le font bien, on dit que le chef est bon. Mais comme la nature humaine est complexe, il est évident que tous les exécutants n’étaient pas des bons. Je ne rentre pas dans les détails puisque cela nécessite tout un mémoire. Ceux-là même ont été, plus tard, arrêtés pour avoir mal travaillé.

Qu’est ce qui a été fait pour honorer cette résistance de la population guinéenne contre l’agression ?

Il y a un monument au Palais du peuple qu’on appelle le monument du 22 novembre 1970. C’était un don de la République populaire de Chine. Sa fondation a commencé le au premier anniversaire de cette agression. Il a été inauguré le 22 novembre 1972 en présence du président Idi Amin Dada de l’Ouaganda. Et aussi Kamanda Wakamanda, secrétaire général adjoint de l’Oua à l’époque. L’attaque du 22 novembre a été déclarée Journée africaine de la libération du peuple africain par l’Oua qui, tout comme l’Onu, avait condamné fermement l’agression. Les Nations unies ont exigé aux commanditaires de cette agression de dédommager la République populaire et révolutionnaire de Guinée. Le président Sékou Touré satisfait de cette condamnation a dit simplement « je demanderai en dédommagement seulement la libération des peuples colonisés d’Afrique». A la suite de cette agression contre la Guinée, le Bénin a été aussi agressé. Ce n’est pas la négation ou le rejet de la vérité qui peut construire ou encore la haine ou la rancune sur des faits passés. Nul ne peut nier l’agression et ses raisons. Nul ne peut nier les conséquences, à la fois, sur la Guinée et surtout les territoires africains.

A suivre…

Africaguinee.com

 

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