Les marabouts maliens, le médecin guinéen et les 100 millions à Conakry : « tu seras aussi riche que Diallo Sadakaadji »

Une rocambolesque affaire d’escroquerie portant sur la somme de 100 millions de francs guinéens a fait objet d’un débat très houleux au tribunal de Mafanco le mardi dernier, 11 août 2020. Un ressortissant Malien, du nom de Djiby Dicko, est jugé pour une affaire de maraboutage qui a viré à l’escroquerie. La victime, Mamadou Oury Bah, médecin de profession, dit avoir perdu 100 millions suite aux agissements de Dicko et de ses compagnons qui sont en fuite, a appris sur place Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Né en 1990 à Bamako, Djiby Dicko est un marabout. Marié et père de 4 enfants, il est domicilié au quartier Foulamadina, dans la commune de Ratoma. Il est sous mandat de dépôt depuis le 16 mars dernier, poursuivi pour des faits d’escroquerie au préjudice de Mamadou Oury Bah, médecin de profession.

A la barre, Djiby Dicko a nié les faits pour lesquels il est jugé. « Je ne reconnais pas les faits qui me sont reprochés. Ce que je sais dans cette affaire, c’est qu’un certain Abdoulaye Bah, qui a l’habitude de venir chez moi, m’a donné une bouteille de parfum à remettre à monsieur Mamadou Oury Bah pour que celui-ci me donne en retour le prix de la bouteille de parfum qui était de sept millions de francs guinéens (7 000 000 GNF). C’est quand je suis allé pour donner la bouteille à Mamadou Oury Bah qu’on m’a arrêté et conduit d’abord à la Cimenterie, puis à Dapompa ; et, enfin, à la maison centrale. Je ne savais rien de ce que la bouteille allait servir. Je ne connais pas le domicile d’Abdoulaye Bah qui m’a chargé de cette commission. Mamadou Oury Bah, je ne l’ai connu qu’à la police », a expliqué le prévenu.

Appelé à son tour à la barre, la victime Mamadou Oury Bah est revenue en détail sur ce qu’il dit avoir subi. « C’était au courant du mois de novembre 2019. Je suis allé chez une amie à Foulamadina pour lui dire que mon papa est malade depuis longtemps. C’est ainsi qu’elle m’a mis en contact avec un vieux marabout malien. Quand je me suis vu avec le vieux marabout malien, je lui ai dit que c’est mon papa qui est malade ; mais, je n’ai pas encore eu un bon traitement pour lui. Je lui ai dit aussi que mon activité est presqu’à l’arrêt. Je lui ai dit de m’aider non seulement à avoir de bons médicaments pour mon papa mais encore à faire fonctionner très bien mon activité. Après, il a coupé un bout de papier pour me donner. Il m’a dit de tenir le bout de papier, il va voir s’il peut m’aider ou non. Il a dit qu’après ses consultations, si des écritures rouges apparaissent sur le bout de papier, ça veut dire qu’il ne peut pas m’aider. Mais, si des écritures bleues apparaissent, ça signifie qu’il pourra m’aider. Après ses consultations, il a dit qu’il pourra. C’est ainsi qu’il m’a dit de chercher deux grammes d’or et des noix de colas, 50 dollars multipliés par mon âge. Suite à ça, je suis allé trouver 200 dollars en billets de 50 USD ».

Poursuivant, Mamadou Oury Bah dit que le marabout s’en est saisi pour « donner aux diables ». Puis, les miracles vont commencer. « Quand j’ai envoyé ça, il m’a conduit dans sa propre toilette et a pris les grammes d’or et l’argent pour verser dans le pot. Ensuite, il a versé de l’eau là-dessus. Il m’a dit que ça c’est pour les diables. Ce n’est pas pour lui. A notre retour dans la chambre, il a pris un maïs qu’il a roulé dans un linge rouge et m’a donné. Puis, il m’a dit d’ouvrir. Quand on a ouvert, c’est un pigeon qui est sorti. Ce pigeon, il l’a coupé en deux. Et, quand il l’a coupé, une bague en or en est sortie. C’est cette bague qu’il m’a ensuite donnée et m’a dit de porter pendant 45 jours. C’est cette bague qui fera de moi riche comme Diallo Sadakaadji ».

En outre, le plaignant fera savoir que le fils du marabout sera également mis à contribution pour « l’enfoncer » davantage. « A ma sortie de la concession, son fils avec qui il était là-bas se trouvait dehors. Il m’a interpellé et m’a demandé ce que son papa a fait pour moi. Je lui ai dit qu’il m’a interdit d’en parler. Mais, il m’a recommandé chez quelqu’un d’autre qu’il disait être meilleur que son papa qui réside à Lambanyi. Que celui-ci va mieux faire pour moi que son papa », a expliqué la victime.

Chez ce second marabout, malien aussi, Mamadou Oury Bah dit avoir dépensé plus que chez le premier marabout. « A Lambanyi, chez le deuxième marabout malien à qui le soi-disant fils du premier m’a recommandé, c’est un certain Bory qui m’a reçu pour me mettre en contact avec le monsieur. Ce dernier m’a demandé cent millions de francs guinéens (100 000 000 GNF) pour faire mon travail. En plus de ça, il m’a demandé six mille francs guinéens (600 000 GNF) pour accéder aux effets de sacrifice et autres lui permettant de faire mon travail. Ce même marabout m’a dit :  »si le premier marabout, le vieux malien, t’a demandé 1 850 dollars pour le travail, moi, je te demande de payer 600 dollars pour faire ton travail ». Le lendemain, je suis revenu à sa demande. Quand je suis venu, il m’a d’abord dit de faire l’ablution et entrer dans la chambre. Quand je suis entré, il m’a informé que les diables ont dit que je dois enlever un sacrifice de 5 bœufs. Ça aussi, il a demandé 25 millions pour les 5. Selon lui, les diables ont dit que si je n’enlève pas ce sacrifice des 5 bœufs, ça ne sera pas bon pour moi. Après avoir fait tous les sacrifices, il m’a demandé encore de revenir toujours chez lui. Lorsque je suis venu après avoir fait les sacrifices, il m’a demandé de prier avec lui sur des tapis qu’il a préparés pour la circonstance. Au terme de la prière, une voix féminine s’est faite entendre devant moi, me disant qu’elle est la femme pour ma fortune, de l’épouser ; mais, il faut que je lui donne 100 grammes d’or pour la dot et que si j’arrivais à le faire, ma vie serait faite, que j’aurai de la fortune à n’en pas finir. Mais, c’est à condition aussi que je loge des pauvres sans rien demander, que j’envoie des gens à la Mecque et que je construise des mosquées ».

Selon Mamadou Oury, il a finalement compris la machination de ce marabout. « A Lambanyi, il y avait un sac dans la chambre où on a prié. Ce sac fut aussitôt rempli d’argent en Dollars, Euros, francs CFA et francs guinéens. Il dit que ça c’est pour moi. Il m’en a même donné un montant important pour aller faire la fête pour avoir eu cette fortune. Après avoir fait cette fête, il fut question de transférer l’argent maintenant chez moi. On a acheté des caisses avec des cadenas dans lesquelles on allait transférer l’argent. On les avait même envoyées et classées dans ma chambre. Entre temps, ce même deuxième marabout, du nom d’Amadou Bah, a déménagé à Coyah. C’est en le cherchant maintenant pour le transport de l’argent chez moi qu’il m’a demandé d’acheter du parfum. Il m’a envoyé le numéro de celui qui devrait envoyer le parfum. C’est par ce même numéro que Djiby Dicko et moi avons communiqué jusqu’à ce qu’on s’est vu. C’est à cette occasion que Djiby Dicko est apparu dans cette affaire. Sinon, durant tout le processus, je ne l’avais pas vu. C’est ce Djiby Dicko maintenant qui était chargé d’envoyer le parfum pour me donner ; et, moi, je lui remets le prix du parfum qui était fixé à sept millions de francs guinéens (7 000 000 GNF) ; alors que cela coûte sur le marché à seulement 2 500 ou 3 000 de francs guinéens. C’est là que j’ai compris que c’est du faux qu’on était en train de me faire. J’ai attendu celui qui est désigné pour envoyer le parfum afin de mettre main sur tous ceux qui sont impliqués. J’ai fait appel aux agents de la brigade anti criminalité pour arrêter celui qui allait envoyer ce parfum. C’est ainsi qu’on a arrêté Djiby Dicko qui a dit qu’il n’était pas seul ; mais, on n’a pas pu arrêter les autres. Ils ont fui ».

Interrogé sur ses prétentions, le plaignant a demandé le montant de 100 millions de francs guinéens pour les préjudices subis, même s’il estime que ça vaut plus que ça.

Dans ses réquisitions, le ministre public a demandé au tribunal de retenir Djiby Dicko dans les liens de la culpabilité des faits de complicité d’escroquerie mis à sa charge et de le condamner à un an d’emprisonnement. « En ce qui concerne les préjudices, nous vous demandons de tenir compte de la demande formulée par la partie civile », a requis le procureur.

Une demande que la défense a balayé d’un revers de la main. « Mon client est innocent dans cette affaire. Je veux qu’on respecte la loi dans les affaires pénales. Le procureur lui même a dit ici dans les débats que mon client n’a rien fait dans cette affaire, alors qu’il a fait 6 mois à la maison centrale. Ce n’est pas normal qu’on mette un innocent en prison. Monsieur Mamadou Oury Bah n’a qu’à aller chercher ses escrocs qui sont son amie Oumou, qui l’a mis en contact avec les marabouts, et les marabouts eux-mêmes. Ce n’est pas mon client. Je vous prie, Monsieur le président, de renvoyer mon client des fins de poursuites », a dit maître Moussa 2 Keita.

Finalement, Djiby Dicko sera reconnu coupable et condamné à un an de prison assorti de 8 mois de sursis, et au payement d’une amende d’un million de francs guinéens. Il est également condamné au payement de 100 millions de francs guinéens à titre de dommages et intérêts.

Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com