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«La Corée du Nord a donné le ton de ce qu’elle risquait de faire à très court terme»

La tension est montée d’un cran dans la péninsule coréenne. Après plusieurs jours d’attaques verbales incessantes du Nord contre le Sud et la coupure des canaux de communication politique et militaire avec Séoul, le régime nord-coréen est passé à l’acte ce mardi en faisant voler en éclat le bureau de liaison de Kaesong, situé dans une zone industrielle près de la frontière. Au-delà du symbole, la destruction du bureau de liaison s’inscrit dans un contexte de difficultés économiques pour la Corée du Nord et de négociations au point mort avec Washington.

RFI: Pourquoi le régime nord-coréen a-t-il pris pour cible le bureau de liaison intercoréenne et pourquoi maintenant ?

Olivier Guillard: Pour une fois la Corée du Nord a donné le ton de ce qu’elle risquait de faire à très court terme. Le week-end dernier, la numéro 2 du régime Kim Yo-jong, la sœur de Kim Jong-un avait laissé entendre qu’elle procéderait à un raidissement, qu’elle considérait le Sud désormais comme un ennemi et non plus comme un partenaire et que parmi les objectifs ou les symboles qui risquaient de faire les frais de ce courroux du Nord à l’égard du Sud, se trouvait justement ce bureau de liaison qui matérialise depuis deux ans le seul endroit où les deux pays (qui sont encore techniquement en guerre) se rencontraient plus ou moins régulièrement, en tête à tête, pour discuter d’un avenir plus pacifique.

Que cherche à obtenir Pyongyang ? Pourquoi ce revirement brutal vis-à-vis de son voisin du sud ?

Par cette action, la Corée du Nord fait état de sa déception à l’égard des divers projets intercoréens. Cela faisait deux ans que Pyongyang et Séoul tentaient de réamorcer un cycle plus détendu. Cela avait donné des résultats tout à fait intéressant au départ, mais cela fait un an que les choses piétinent.

La Corée du Nord avait annoncé le week-end dernier qu’elle comptait redéployer des troupes dans la zone démilitarisée. Cela va certainement laisser la place à un espace de discussion et de négociation entre le Nord et le Sud, mais surtout entre le Nord et Washington.

Lors du printemps intercoréen, Pyongyang misait beaucoup sur un allègement des régimes de sanctions, notamment économiques qui lui sont appliquées. Avant cette période de détente avec le Sud, nous avons assisté à deux années extrêmement compliquées d’un point de vue balistique et nucléaire, puisque la Corée du Nord s’était lancée en 2016 et 2017 dans une noria permanente de tirs de missile et d’essais nucléaires qui avaient donnés lieu à d’importantes sanctions internationales et notamment économiques.

Ces sanctions pèsent aujourd’hui lourdement sur l’économie nord-coréenne qui est une économie exsangue qui souffre d’autant plus depuis un trimestre maintenant des conséquences de la pandémie de coronavirus sur son commerce extérieur. Un commerce déjà ténu, essentiellement lié avec la Chine.

Et probablement en regardant plus loin, la Corée du Nord se dit qu’en se raidissant vis-à-vis du Sud elle a quelques chances d’envoyer un message un peu plus lointain à Washington, pour dire : quand bien même vous auriez certains dossiers de politique intérieure et de politique internationale prioritaires, n’en oubliez pas que nous sommes un dossier sur lequel nous comptons.

En définitive, le temps qu’a dû consacrer la Corée du Nord pour essayer de sortir de cette ornière s’écoule. Et pour essayer de relancer ou en tous les cas de se positionner après les élections présidentielles américaines de fin d’année, Pyongyang comme d’habitude, remonte en pression et pèse de tout son poids sur Séoul qui va relier cette inquiétude et cette incertitude à son allié stratégique américain.

Par ailleurs, la Corée du Nord n’a cessé aucun de ses développements de missiles balistiques et certainement encore moins son programme nucléaire, alors même qu’elle s’était engagée à le faire. On peut par conséquent sans aucune doute considérer que le renforcement et la diversification de ses arsenaux balistiques et nucléaires a continué et qu’aujourd’hui elle est en position encore plus de « confort » dans ses négociations asymétriques avec le Sud et les États Unis. En définitive, elle n’a aucunement cessé sa fuite en avant balistique et nucléaire et son arsenal s’est aujourd’hui malheureusement agrandi d’autant.

La sœur de Kim Jong-un est de plus en plus mise en avant par le leader nord-coréen. En quoi consiste cette stratégie ? Quelle est le véritable rôle et la capacité d’action de Kim Yo-jong ?

Dans la famille Kim aujourd’hui il y a le grand frère, Kim Jong-un, la face « symbolique » de la Corée du Nord depuis une petite décennie et il y a sa sœur, qui est à un certain nombre d’échelons en dessous et qui n’a évidemment ni la même autorité, ni le même crédit. En revanche Kim Yo-jong est effectivement de plus en plus présente et a l’air d’être très alignée-d’ailleurs on le lui souhaite- sur les positions de son frère. Et surtout elle est l’un des rares porte-voix, sinon le seul, en lequel Kim Jong-un a confiance.

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On l’a vu lorsqu’il s’agissait de participer aux Jeux olympiques d’hiver, lorsque Kim Jong-un a envoyé à Séoul une délégation nord-coréenne, sa sœur était le porte-drapeau de la Corée du Nord. On la voit aussi de plus en plus relayer – parfois avec courroux, comme le week-end dernier – les propos des couloirs du pouvoir de Pyongyang, quitte à taper elle aussi du poing sur la table et à se montrer assez peu aimable.

C’est certainement aussi un « gage », un message envoyé à l’endroit des Etats Unis et de la Corée du Sud : si d’aventure il arrivait que pour des raisons p lus ou moins obscure, le dirigeant suprême Kim Jong-un disparaissait, sachez que dans la famille il y a également la numéro 2. Kim Yo-jong a aujourd’hui de plus en plus de poids, en tous les cas d’espace et de crédit auprès de la population.

Dans ce tandem, on a d’une certaine manière un chef de l’État et une Première ministre qui deviendra peut être de plus en plus l’interlocutrice dans les moments difficiles. Une interlocutrice plus calme, comme lors de cette détente intercoréenne que l’on évoquait et qui a l’air d’être aujourd’hui assez mal engagée.

Olivier Guillard est chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal) et directeur de l’information de Crisis24 (GardaWorld).

Il est l’auteur de « Les derniers jours (au pouvoir…) de Kim Jong-un: Demain, la Corée du Nord libérée de la dictature ? » (publication indépendante) et de « Que faire avec la Corée du Nord ? » (Éditions Nuvis)

RFI

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