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Côte d’Ivoire trafic de drogue : Les graves accusations d’un journal d’investigation québécois contre le ministre de La Défense Hamed Bakayoko

En Côte d’Ivoire, le ministre de la Défense Hamed Bakayoko, Premier ministre par intérim depuis le « contrôle médical » d’Amadou Gon Coulibaly, est gravement mis en cause par le journal d’investigation québécois Vice, ordinairement réputé sérieux. En attendant la réaction du concerné, que nous avons sollicité à travers son directeur de la communication, nous vous reproduisons de larges extraits de cette longue enquête, avancée, précisons-le, sans preuves visibles (les auteurs disant, sans doute, en détenir, en cas de plainte les visant devant un tribunal indépendant). Nous reproduisons, au nom du droit du public à l’information, mais aussi pour que chacun se fasse sa propre opinion, sur une affaire suffisamment grave, déjà tombée dans le domaine public, depuis sa publication le 5 juin 2020, soit deux jours avant. Dans les mêmes conditions, nous reproduirons la réaction du ministre d’Etat, au cas où il consent à réagir (NDLR), pour défendre son honneur bafouée par cette affaire.

VICE est parti en mission à Abidjan, ville portuaire et capitale économique de la Côte d’Ivoire, mais aussi haut lieu stratégique du trafic de cocaïne. Retour sur la Highway 10, la route de la cocaïne qui lie l’Amérique du Sud à l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. Le 3 février dernier, à six heures et demie du soir, la marine ivoirienne intercepte une pirogue en bois avec pour équipage, cinq personnes et 411 kilos de cocaïne. Quatre jours plus tôt, la marine avait déjà repéré un voilier espagnol qui avait rendez-vous avec la pirogue, à 250 kilomètres au large de la Côte d’Ivoire. La cocaïne était conditionnée dans des emballages avec l’étiquette « Pacena Black », une bière bolivienne.

La marine ivoirienne qui intercepte la cargaison de cocaïne ; ça peut sembler logique, mais ça ne l’est pas tant que ça en Afrique de l’Ouest, où les autorités semblent bien plus susceptibles de prêter main forte aux cartels. Ce qui suit semble tout droit sorti d’une série de crimes.

C’est le deuxième jour de nos recherches à Abidjan. Devant nous se trouve un Français, la soixantaine. Il était le conseiller personnel de l’ex-président, est toujours haut placé dans le monde politique et – on ne l’apprendra que plus tard – travaille pour les services secrets français.

On se donne rendez-vous à Marcory, la banlieue libanaise d’Abidjan, dans un bar au style colonial. Il y a des palmiers en plastiques, des serveurs portent des arcs blancs tandis que des serveuses aux décolletés plongeants s’agrippent autour du cou de notre contact et l’embrassent de temps à autre sur la bouche. Rien ne semble le déstabiliser. Il poursuit : « Après la chute de l’amiral Bubo Na Tchuto, tout a changé. La cocaïne est arrivée dans plusieurs ports de la côte ouest africaine, mais surtout à Dakar et à Abidjan. »

Il n’a pas de preuve directe de l’infiltration de la mafia au sein des plus hauts échelons politiques ivoiriens, à une exception près. Il ouvre son portefeuille et sort son permis de conduire. « Jetez un coup d’oeil. Il n’est pas incroyablement bien fait ce permis de conduire ? » Il brandit la carte plastifiée, pas plus grande qu’une carte de visite. « Il est fabriqué par une société spécialisée dans les permis de conduire. Notre ministre des transports est allé jusqu’à Medellin pour trouver une entreprise capable de faire d’aussi bons permis de conduire. Apparemment, on ne peut imprimer et plastifier aussi bien nulle part ailleurs qu’à Medellin. »

« En tant qu’agent du gouvernement, j’ai enquêté sur les raisons pour lesquelles nos permis de conduire doivent être fabriqués en Colombie. Notre rapport a montré que personne n’avait aucune raison valable. Il a été rejeté sept fois par le Conseil des ministres. »

Il ne peut, ou ne veut pas, nous donner d’informations supplémentaires sur le trafic de cocaïne à Abidjan, mais veut nous aider dans notre démarche. Il pense qu’on devrait investiguer dans le monde du show-business. Comme dans d’autres pays africains, l’industrie de la musique servirait à blanchir les profits du trafic de drogue. En Côte d’Ivoire, les stars de la pop vivent comme des millionnaires, mais on ne sait pas d’où vient leur argent puisque seul un petit pourcentage de leurs fans a les moyens d’acheter des disques ou des places de concert.

Le nom de DJ Arafat est le premier à sortir. DJ Arafat était chanteur, la plus grande star du très populaire style de musique ivoirienne : le Coupé-décalé. Décédé l’an dernier, il cultivait une certaine image de bad boy des ghettos d’Abidjan, là où les gangs de jeunes font souvent la loi. Il entretenait aussi de très bonnes relations avec le ministre de la Défense Hamed Bakayoko, qui serait encore plus puissant dans ce pays que le président Alassane Ouattara. « C’était un bon vivant, il était propriétaire d’une boîte de nuit à Paris et a une discothèque dans le sous-sol de sa villa à Riviera », précise notre source.

On connaît le quartier de la Riviera, aussi surnommée Beverly Hills par les habitant·es d’Abidjan. Pour échapper au contrôle de l’État et des services secrets, on s’est installés dans ce quartier grâce à l’aide de notre réseau personnel. On a obtenu l’autorisation officielle du ministère ivoirien de la Communication pour rédiger cette enquête sur la cocaïne ; l’État sait de ce qu’on fait ici, mais pas – encore – l’endroit où l’on vit.

Un coup de bol presque inespéré – et on ne le saura qu’au bout d’une demi-semaine – : le ministre de la Défense est notre voisin. On peut voir qui entre et qui sort de chez lui à tout moment. Mais l’espionnage se fait dans les deux sens. Une semaine après le début de l’enquête, un petit logo de micro apparaît soudainement sur l’un de nos iPhones. On le prend comme un avertissement, à partir de maintenant on va devoir être encore plus prudents.

– « Une enquête sur le trafic de cocaïne ? »
– « Oui. »
– « Téléphonez à votre voisin, le ministre de la Défense, il sait tout. Vous savez qu’il a une discothèque dans son sous-sol ? Mais soyez très, très prudents. »

Ces recommandations ne viennent pas de n’importe qui, mais d’une personne haut placée de l’impénétrable ambassade américaine à Abidjan, d’où les États-Unis surveillent d’ailleurs toute la région ouest-africaine. Notre planque dans le Beverly Hills local se trouve dans le quartier où résident de grands noms de l’industrie et de la politique. Par hasard, le diplomate américain – on ne peut pas révéler son identité – est assis à notre table de petit déjeuner lors de la fête de la Tabaski (c’est un ami de notre hôte) ; c’est comme ça qu’on appelle l’Aïd en Afrique de l’Ouest. C’est un jour férié en Côte d’Ivoire, donc on espère que les services secrets sont aussi en congé.

Les jours précédant et suivant la Tabaski, la recherche prend de l’ampleur. La veille, on a rencontré un escort boy à Gonzagueville, l’un des quartiers les plus pauvres d’Abidjan situé entre l’aéroport international, le port maritime de Port-Bouët et une autoroute. Derrière cette autoroute se trouve une parcelle de terre abandonnée récemment achetée par le roi du Maroc. Sur une distance de quinze kilomètres, les marchés, les mosquées, les églises, les écoles, les maisons et leurs habitant·es ont dû céder leur place au projet des nouveaux bungalows de Mohammed VI, sans aucune compensation.

« Le ministre de la Défense, le plus grand trafiquant de cocaïne ? Je le sais. Et tout le monde le sait »

À quatre heures de l’après-midi, sous une chaleur écrasante, on retrouve dans un bar ce travailleur du sexe qui dit avoir des informations sur le ministre de la Défense. « Je le connais. Je connais sa maison à Beverly Hills. J’étais son partenaire sexuel. Mais on n’est plus en bons termes. » Il ajoute : « Le ministre de la Défense, le plus grand trafiquant de cocaïne ? Je le sais. Et tout le monde le sait. »

Ce n’était pas le cas un an plus tôt. Un chef de la mafia nigériane nommé John gérait la majeure partie de l’importation et de l’exportation de cocaïne. L’histoire suit le même schéma que celle de la Highway 10 : au départ, les cartels colombiens ont cherché l’aide de la mafia nigériane pour faire passer la cocaïne par l’Afrique de l’Ouest. La mafia nigériane avait besoin de l’aide des autorités des ports mondiaux. Ces autorités sont payées en coke, ont une vue sur l’activité et voient rapidement combien d’argent elles peuvent gagner dessus.

Conséquence : les hommes de main locaux, qui ont accès au port, investissent également dans l’achat de cocaïne afin d’en vendre eux-mêmes. Ça s’est produit à Abidjan, et se produit tout aussi bien dans le port d’Anvers aujourd’hui. S’en suit généralement une forte lutte de pouvoir entre les anciens et les nouveaux venus.

« John était un milliardaire », explique notre informateur, « il faisait passer la coke par le port et approvisionnait les ghettos d’Abidjan. Dans le ghetto de Washington, il possédait un fumoir illégal (un fumoir est l’équivalent ivoirien d’un coffeeshop, à l’exception du fait que les gens y fument principalement du crack qui ne peut être consommé que sur place, ndlr.) pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes. Avec les recettes, il a construit l’hôtel Free World et la discothèque Blue Rock. Je le connaissais bien, il était sympa. À un moment donné, il a acheté de nouveaux vêtements pour tou·tes les consommateur·ices de son plus grand fumoir. Il a fait don de montants records à des orphelinats. Et surtout : il était très ami avec le ministre de la Défense. »

Le 19 décembre 2018, l’empire de John s’écroule. Il est arrêté et se trouve actuellement dans la prison tristement célèbre de la MACA à Abidjan. « La fin d’une petite guerre de succession. C’était purement politique. Le ministre de la Défense voulait une plus grande part des revenus, donc il voulait devenir l’associé de John, qui a refusé. Résultat : il s’est fait arrêter. »

« Enfin, sa liberté de mouvement a beau avoir été restreinte, mais son réseau de jeunes dealers est toujours intact et continue à travailler pour lui. » Il n’y a aucune preuve que l’escort dit la vérité. Mais presque tous les éléments de son histoire sont confirmés par d’autres sources. Pour en revenir au diplomate américain de haut rang à côté de qui on était assis, lui aussi nous a confirmé l’implication de notre voisin dans le trafic de cocaïne.

« Selon les derniers chiffres de 2014, il y avait 400 fumoirs à Abidjan et on estime à 10 000 le nombre de consommateur·ices »

Le jour-même, on visite les ghettos du quartier d’Adjamé, où se trouve l’un des plus grands fumoirs de John. Le fumoir est surveillé par un Babatché, un « grand père » qui impose une discipline stricte aux utilisateur·ices du fumoir, et qui s’arrange avec la police et la gendarmerie qui viennent y chercher leur commission tous les jours.

Les fumoirs sont directement liés à la Highway 10 puisque les complices locaux sont payés en coke. Mais pour être vendue, cette coke a besoin d’un marché. Selon les derniers chiffres de 2014, il y avait 400 fumoirs à Abidjan et on estime à 10 000 le nombre de consommateur·ices. Avec un tel débouché pour le crack bon marché, les grossistes d’un pays pauvre font encore les bénéfices nécessaires. Il arrive que des perquisitions aient lieu, mais les Babatchés sont informés à l’avance. Lorsqu’un fumoir est mis à plat par la police, il réouvre généralement le lendemain.

On entre dans le quartier directement après la grande prière à la gare routière centrale. On passe lentement devant un fumoir qui est construit contre le mur arrière d’un poste de gendarmerie. On sort de la voiture un peu plus loin. Sur le chemin de terre, les hommes ont déjà commencé à égorger des chèvres et des vaches. Une porte battante s’ouvre. À l’intérieur, une trentaine de jeunes fument du crack, la tête penchée en avant. Sur le chemin du retour, les bordures de routes sont couvertes de carcasses et de sang.

Quand on arrive à notre planque à Beverly Hills, un homme déguisé en Michael Jackson chante devant le ministre de la Défense. Il est chassé par des soldats en uniforme. Juste après, sept Range Rovers de luxe, blancs, beiges et gris arrivent en file. Les soldats ouvrent le portail, se mettent en position et saluent les voitures. Ce qu’on découvrira par la suite, c’est que cet après-midi et ce soir-là, le ministre de la Défense a organisé une house party pour la crème de l’industrie musicale ivoirienne.

Détail important : DJ Arafat n’avait pas été invité, ayant perdu les faveurs de son parrain – les deux hommes étaient si proches que Bakayoko considérait Arafat comme son filleul et le disait ouvertement lors d’interviews à la télévision. Arafat roulait sur sa moto cette nuit-là, à quelques kilomètres de la fête à laquelle il n’était pas invité. Une voiture le percute. Arafat est propulsé de sa moto et meurt un peu plus tard à l’hôpital.

L’intégralité de l’article à lire sur le site de Vice

Source: Afriksoir.net

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