Présidentielle en France: ces moments clés qui ont marqué 50 ans de débats d’entre-deux-tours

Ce mercredi 20 avril se tient le traditionnel débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle française. Retour sur les huit qui l’ont précédé.
10 mai 1974 : 25 millions de téléspectateurs
Pour la première fois, un débat télévisé est organisé entre les deux candidats, le socialiste François Mitterrand et le candidat du centre-droit Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier, moins âgé et plus agile devant les caméras, remporte le duel. François Mitterrand a reconnu plus tard auprès du réalisateur Serge Moati qu’il avait jugé « catastrophique » sa prestation, rapporte le Journal du Dimanche.
L’ancien ministre de l’Économie de Georges Pompidou use de tous les stratagèmes pour déstabiliser le socialiste : lorsque Mitterrand parle économie, Valéry Giscard d’Estaing plonge le regard dans ses feuilles, l’air réprobateur. Il donne aux téléspectateurs l’impression que le candidat du Parti socialiste se trompe dans son exposé. En réalité, les feuilles sont blanches, mais l’équipe de Mitterrand ne s’en rend compte qu’à la fin du débat. Agacé quand le centriste l’interroge sur le cours du deutschemark (la monnaie allemande de l’époque), le socialiste rétorque : « Je n’aime pas beaucoup ces manières, je ne suis pas votre élève et vous n’êtes pas le président de la République ici, vous êtes simplement mon contradicteur. »
Mais tant qu’il est question d’économie et de croissance, c’est bien VGE qui prend le dessus. Surtout quand, lors d’un échange sur la répartition de la croissance, il contredit François Mitterrand et lui assène le fameux « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».
Quand il est question des résultats du premier tour de la présidentielle, Valéry Giscard d’Estaing évoque Clermont-Ferrand, ville du centre de la France « que vous connaissez et qui vous connaît bien ». Une allusion discrète mais directe à la double vie secrète de François Mitterrand : sa maîtresse Anne Pingeot est originaire de Clermont-Ferrand. Quelques mois plus tard, en décembre, naît Mazarine, la fille du futur président et de l’historienne d’art.
5 mai 1981 : 30 millions de téléspectateurs
On prend les mêmes et on recommence. Mais cette fois, Mitterrand connaît son adversaire et ses méthodes, même s’il n’a « pas envie d’y aller », raconte le réalisateur Serge Moati à franceinfo. Le socialiste et son équipe proposent donc 21 règles pour encadrer le débat, acceptées par les équipes de Valéry Giscard d’Estaing. Les plans de coupe sont interdits : seul le candidat qui parle doit apparaître à l’écran ; les journalistes qui encadrent la prestation ne travaillent pas à l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), contrôlé par le gouvernement ; l’éclairage est calibré…
Toutes les précautions prises par François Mitterrand pour apparaître à son avantage lors du débat se doublent d’une grande préparation de la part du socialiste. Comme VGE lors du précédent exercice, il recourt à des procédés peu scrupuleux. Comme quand il pose sur sa table un dossier dont le titre fait référence aux diamants de Bokassa, du nom de l’empereur centrafricain qui aurait offert des pierres précieuses à Valéry Giscard d’Estaing quand il était ministre de l’Économie. Le centriste est particulièrement décontenancé, d’autant qu’il ne sait pas que le dossier est vide.
Le successeur de Georges Pompidou est fatigué par sept années de pouvoir. Les seules saillies notables sont à mettre au crédit de François Mitterrand : « Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans, « l’homme du passé », remarque le socialiste quand il s’adresse à Valéry Giscard d’Estaing. C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu, vous, l’homme du passif. »
28 avril 1988 : 30 millions de téléspectateurs
Rarement un débat présidentiel qui, pour la première fois dure plus de deux heures, aura été aussi tendu, remarquent encore aujourd’hui la plupart des observateurs. Selon le journaliste Alain Duhamel, cité par Le Journal du Dimanche en 2012, c’était « le plus teigneux, le plus dramatisé, le plus personnalisé » de tous les débats présidentiels.
En cause : l’animosité entre le président de la République François Mitterrand et son Premier ministre depuis deux ans, le candidat de la droite, Jacques Chirac. Le socialiste a insisté pour que la table du débat qui sépare les débatteurs fasse 170 centimètres. C’est précisément la taille de son bureau à l’Elysée, celui face auquel, tous les mercredis, Jacques Chirac vient s’asseoir pour préparer le Conseil des ministres avec le président.
Même si le candidat de la droite tente de faire fi des symboles, son aura de chef du gouvernement n’égale pas celle du chef de l’État. C’est donc en position de force, et confortablement installé dans son rôle présidentiel, que François Mitterrand mène les échanges. Quand Jacques Chirac, reprenant à son compte les remarques du socialiste lors du précédent débat, déclare : « Je ne suis pas le Premier ministre, et vous n’êtes pas le président de la République, nous sommes deux candidats à égalité […], vous me permettrez donc de vous appeler monsieur Mitterrand », l’intéressé rétorque laconiquement : « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier ministre. »
2 mai 1995 : 16,7 millions de téléspectateurs
Le débat entre Jacques Chirac et le candidat socialiste Lionel Jospin est plus posé que les précédents, moins offensif. Les deux hommes s’écharpent toutefois sur le bilan des présidences mitterrandiennes. Les plans de coupe, interdits par Robert Badinter alors conseiller de François Mitterrand en 1981, font leur retour.
Lionel Jospin attaque Jacques Chirac sur la longueur du mandat présidentiel, qu’il veut faire passer de sept à cinq ans. « En badinant », le socialiste tacle le candidat de la droite : « Mieux vaut cinq ans avec Jospin que sept ans avec Jacques Chirac. Ça serait bien long. » Une déclaration qui n’est pas sans faire sourire le favori et futur vainqueur de cette élection.
2002 : pas de débat
Jacques Chirac refuse de donner du crédit à l’extrême droite et n’accepte pas de débattre avec Jean-Marie Le Pen. Le président sortant refuse de cautionner « la banalisation de la haine et de l’intolérance. » Par média interposé, le fondateur du Front national dénonce une « piteuse dérobade ».
22 mai 2007 : 20,4 millions de téléspectateurs
Entre le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy et la socialiste Ségolène Royal, le torchon brûle pendant plus de deux heures trente. Sur la question des enfants handicapés, la première femme à accéder au second tour de l’élection présidentielle s’emporte. À Nicolas Sarkozy qui l’accuse de « perdre ses nerfs », et qui affirme que « pour être président, il faut être calme », elle rétorque : « Je n’ai pas perdu mes nerfs, je suis en colère et il y a des colères très saines, très utiles. »
En fait, Ségolène Royal tombe dans le piège tendu par son opposant : elle essaye de faire sortir Nicolas Sarkozy de ses gonds et se montre très offensive, mais elle n’arrive pas à le déstabiliser. Le candidat de l’UMP lui reproche cette tactique avec malice : « Vous n’avez pas besoin d’être méprisante pour être brillante. » Et la socialiste de répondre : « Je ne suis pas méprisante, je connais vos techniques. Dès que vous êtes gêné, vous vous posez en victime. »
À noter que pour la première fois dans un entre-deux tours de l’élection présidentielle, la gagnante Ségolène Royal propose au troisième homme, François Bayrou un débat. Avec cette initiative, la socialiste espère draguer une partie de l’électorat du centriste. Le débat se déroule d’ailleurs de manière très courtoise.
2 mai 2012 : 17,8 millions de téléspectateurs
« Quel président comptez-vous être ? », demande la journaliste Laurence Ferrari à François Hollande pour clore le débat, long de près de trois heures. Le socialiste se lance alors dans une tirade de plus de trois minutes. Plus d’une quinzaine de fois, il répète ces mots : « Moi, président de la République… » Il dépeint et critique, en creux, le mandat de Nicolas Sarkozy car il veut en proposer l’antithèse. Cette anaphore (procédé rhétorique qui consiste à répéter plusieurs fois les mêmes mots en début de phrase) a inspiré des titres de films et des chansons, et reste l’une des phrases les plus marquantes de l’histoire des débats présidentiels français.
Après coup, François Hollande confie qu’il pensait que Nicolas Sarkozy allait l’interrompre. D’aucuns ont fait remarquer qu’il aurait tout simplement pu le couper en disant : « Mais pour cela, il faudrait que vous soyez élu. » Sauf que le président sortant n’en fait rien, et le socialiste déroule. Même si l’équipe de campagne de Hollande laisse d’abord penser le contraire, les mots « Moi, président » avaient été choisis avec précaution, et la tirade était pour partie préparée. Mais face au silence de Nicolas Sarkozy, celui qui allait être élu président prend son temps et ses libertés. « J’aurais pu continuer longtemps, j’en avais ! », déclare le socialiste à la presse dans les jours suivants le débat.
3 mai 2017 : 16,5 millions de téléspectateurs
L’audience de ce débat d’entre-deux tours, la plus faible de l’histoire de la Ve République, illustre bien sa qualité. Un débat qui restera comme un grand moment de malaise dans l’esprit de beaucoup de téléspectateurs. Le match avait pourtant tout pour attirer les foules : un jeune candidat que personne n’attendait face à Marine Le Pen, première candidate d’extrême droite à participer au débat de l’entre-deux tours. Contrairement à Jacques Chirac en 2002, Emmanuel Macron avait accepté de débattre : il en ressort « sali », selon ses propres termes le lendemain.
Ce soir-là, Marine Le Pen, fébrile, multiplie les attaques. Il y a bien sûr eu la référence de la candidate du Front national au débat de 1974 : « Je vois que vous voulez jouer avec moi à l’élève et au professeur, mais ça n’est pas mon truc », qui avait été aussi interprétée par certains comme une référence insultante à Brigitte Macron. Des insultes, trop nombreuses pour être décomptées. On se coupe la parole, on s’invective en permanence. « Vous représentez la France soumise » dit l’une, des propositions « d’une impréparation grasse »,« du grand n’importe quoi ! », fustige l’autre, ajoutant : « vous dites des bêtises » et « vous mentez en permanence ».
La vérité est la grande perdante de ce débat. Marine Le Pen multiplie les infox, se perd dans ses dossiers. Elle sous-entend qu’Emmanuel Macron aurait « un compte offshore aux Bahamas », reprenant une fausse information diffusée quelques jours auparavant. Pour la première fois de l’histoire de la Ve République, un candidat porte plainte contre X quelques jours avant un scrutin : Emmanuel Macron pour « propagation de fausses nouvelles en vue de surprendre ou détourner les suffrages ». Il espérait que les auteurs de cette fausse information seraient retrouvés, mais ne visait pas nommément Marine Le Pen.
Libreopinionguinee avec RFI