Mes propositions pour une transition efficace et apaisée en Guinée (Par Dr Ousmane Ben Kaba)

Par Dr Ousmane Ben Kaba Docteur de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV Enseignant-chercheur
Les populations guinéennes, dans leur grande majorité, sentent la nécessité d’une refondation complète des institutions de la République, des partis politiques et de la société civile. C’est un préalable pour mettre le pays sur les rails afin d’accéder à la bonne gouvernance dont nous avons tellement besoin. C’est pourquoi, je propose, en trois points, ma vision d’une Guinée nouvelle.
1- Le rôle du CNRD et du CNT pendant la période de transition
Le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) et le Conseil National de Transition (CNT) auront pour mission principale, la mise en place des institutions fortes de la République en nommant des femmes et des hommes compétents à la tête de nos institutions, tout en les débarrassant du copinage et du clientélisme. Nous avons besoin d’institutions fortes et non d’hommes forts et corrompus, comme l’a si bien dit le président Obama aux Africains. C’est une tâche immense sans laquelle le pays restera toujours malade de ses institutions. Nous voterons les lois pour atteindre cet objectif plus tard.
La plus importante mission que nous confierons au CNT sera de s’atteler à la réconciliation nationale. Le tissu social n’est plus ce qu’il était au moment de l’indépendance de la Guinée. Si nous avons pu dire NON tous ensemble au référendum du 28 septembre 1958, c’est que les Guinéens étaient unis. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La faute est aux politiciens sans programme qui croyaient marquer des points faciles en attisant la fibre tribale. Les quatre régions naturelles ne forment plus une seule Guinée, mais plutôt quatre régions distinctes qui se regardent en chiens de faïence. C’est au CNT de remettre les Guinéens ensemble en leur expliquant clairement les raisons de la division ; en leur disant la vérité que nous sommes une famille indivisible. Nous demanderons au CNT d’effectuer cette mission sur toute l’étendue du territoire en dehors des sessions parlementaires. C’est possible de se mouiller le maillot pour une bonne cause en allant tenir ce discours de réconciliation à l’intérieur du pays que de rester tranquille dans la capitale.
Quant au CNRD, les missions sont multiples. Les plus urgentes seront, à mon avis, celles de sensibilisation et d’éducation de la population dans l’objectif de rétablir la sécurité dans le pays. Que les Guinéens n’aient plus peur de sortir de chez eux la nuit. Nous voulons, par exemple, qu’il s’occupe de la discipline et de l’ordre sans brutalité. Que la police routière règle la circulation anarchique de Conakry en s’attaquant aux embouteillages énormes de la ville. C’est bien possible. Ce sont des questions d’éducation, de discipline et de civisme dans le cadre du respect de la loi. Si les motards de la gendarmerie nationale sillonnaient les routes nationales nuit et jour, cela sécuriserait la population et éviterait les coupeurs de route de s’attaquer aux voyageurs et à leurs biens. Des patrouilles mixtes de nuit de la police et de la gendarmerie limiteraient les brigandages dans les grandes villes du pays. Ces actions
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et bien d’autres peuvent avoir des résultats immédiats et ramener la quiétude dans le pays. Nos nouvelles autorités doivent savoir que les actions allant dans le sens de l’ordre et de la discipline sont très attendues par la population et qu’elles seront jugées là-dessus. Quand la loi n’est pas appliquée, les citoyens la prennent en mains pour se défendre en commettant parfois des fautes graves, voire des crimes sur des innocents.
2- Proposition de demande du CNRD à l’endroit de la communauté internationale
Les condamnations, injonctions et sanctions de la CEDEAO et du reste de la communauté internationale ne sont pas une déclaration de guerre contre la Guinée. Il y a eu un coup d’État militaire et une prise de pouvoir par la force en Guinée. Ce qui est contraire aux lois internationales. C’est illégal et illégitime. Pourtant, le respectable et regretté officier militaire et ancien Chef d’État du Ghana Jerry John Rawling semble donner raison aux putschistes de Guinée quand il dit, je cite : « Quand le peuple est écrasé par ses dirigeants avec la complicité des juges, c’est à l’armée de rendre au peuple sa liberté. » Fin de citation. Malgré tout, les condamnations pleuvent de partout. Nous pouvons changer cette vision d’illégalité et d’illégitimité de notre pays sans aller à l’affrontement. Nous avons besoin de la communauté internationale et de ses organisations pour exister en tant que nation reconnue parmi les autres. Compte tenu de notre situation particulière, le CNRD a des arguments solides à faire valoir quant à l’organisation des élections rapides et acceptables par tous. Pour que nos élections soient crédibles aux yeux de tous et dans un temps relativement raisonnable, voici les propositions suivantes à faire. Il faut demander ce qui suit à la CEDEAO, à l’Union Africaine, à l’Union Européenne, à l’Organisation Internationale de la Francophonie, aux Nations Unies et aux autres organisations internationales :
1. Aider la Guinée en prenant en main le toilettage du fichier national et sa mise à jour en y inscrivant les jeunes majeurs de ces dernières années pour que ledit fichier soit complet, propre et acceptable par tous. Des Guinéens peuvent bien le faire. Mais tout ce qui vient de nous-mêmes sera contesté par nous-mêmes. Laissons cette charge à la compétence extérieure. Elle sera ainsi plus facilement acceptable par nous.
2. Les Guinéens feront le choix des femmes et des hommes patriotes et intègres pouvant faire partie d’une Commission Électorale Nationale et Indépendante (CENI). Cette institution devra être débarrassée de toute influence politique et partisane pour qu’elle soit approuvée par l’ensemble des forces vives de la nation.
3. Aider la Guinée à former ces patriotes de la CENI en les rendant opérationnels pour toutes les élections à venir, de la base jusqu’au sommet, c’est-à-dire le chef de quartier, le maire de la commune rurale, le maire de la commune urbaine, l’Assemblée nationale et enfin, la présidence de la république en dernier lieu. Ce parcours électoral sera un entraînement pour les partis politiques et leur permettra de se forger une image bonne ou mauvaise dans l’opinion nationale et de se former aux combats des idées en ayant des programmes politiques concrets à présenter aux Guinéens et non à faire des discours de haine contre d’autres compatriotes. C’est malheureusement ce à quoi nous sommes habitués en Guinée. Dans nos langues africaines, le mot « opposant » est souvent traduit par le mot « ennemi ». Et un ennemi, c’est quelqu’un à abattre. C’est pourquoi nous devons réapprendre la politique comme un combat d’idées, comme un outil de développement et non d’enrichissement
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illicite. Pour réussir notre refondation de la République, soyons patriotes et engagés, changeons notre façon de faire cette fois-ci et maintenant.
3- La refondation des partis politiques et des organisations de la société civile
Les partis politiques et les organisations de la société civile doivent s’organiser en travaillant ensemble pour plus d’harmonie et d’efficacité. Ils doivent s’unir pour devenir grands et forts, car l’union fait la force. Pour cela, ils doivent limiter le nombre pléthorique de partis et d’organisations. Nous souhaitons une réflexion dans ce sens à l’issue de laquelle il y aura créations de grands ensembles dont les idées et les modes de fonctionnement se rapprochent. Une façon d’éviter la pagaille que nous observons actuellement dans le pays. La liberté et la démocratie requièrent aussi de la discipline et de l’ordre pour être efficaces. Seules les lois à venir nous guideront dans ce sens. Mais avant d’en arriver là, sachons nous organiser.
Les Guinéens savent qu’il y a trop de partis politiques en Guinée, plus d’une centaine dans un petit pays de 12 millions d’habitants. Nous avons souvent affaire à des partis qui n’ont de militants que les membres de leurs propres familles, de quelques amis et copains. Admettons-le que c’est de la pagaille. Des compatriotes avant moi avaient souhaité les réduire à deux ou à trois grands partis. Mais certains politiciens ont crié aux restrictions de liberté et de démocratie. Nous avons donc vécu une expérience de cacophonie des partis pendant des décennies. Par exemple, quand vous voulez un poste ministériel, vous créez un parti, même s’il est insignifiant sur le plan national, vous avec l’opportunité d’être nommé ministre. Nous savons bien que cette polarisation des partis politiques n’a pas encore prouvé son efficacité en Guinée.
En général, un parti politique en Afrique est la propriété d’un homme, son président. C’est lui qui a les moyens financiers de fonder son parti. La popularité du parti est à la mesure de la richesse de son président fondateur, le rendant ainsi irremplaçable. C’est ainsi que nos leaders politiques apprennent à devenir des petits présidents à vie au sein de leurs partis. Ils deviendront peut-être de grands présidents à vie quand ils seront élus au niveau d’un pays. Ils se sont présentés candidats à chaque élection présidentielle depuis la création de leurs partis. Tant qu’ils ne meurent pas avec leurs partis, ils seront toujours les seuls candidats de leurs partis. Il n’y aura jamais un jeune cadre du parti qui ose lever la tête même s’il a des compétences. Ils le décapiteront politiquement en l’excluant du parti. Mais quand on parle de démocratie, commençons par balayer devant les portes de nos propres partis. C’est facile de critiquer les autres quand on refuse l’alternance au sein de son propre parti parce qu’on est le maître incontestable. Nous risquons de n’avoir pas de nouvelles figures comme candidats à la prochaine élection présidentielle. La loi interdit les candidats libres. Ils sont perçus comme des trouble-fêtes. Dans un pays pauvre avec un faible taux d’éducation, la démocratie est très fragile. L’homme riche le sait et il en fait son fonds de commerce. Même si son équipe perd plusieurs fois les élections, il reste toujours l’unique candidat. Il ne cédera sa place qu’à sa mort avec son parti. C’est pourquoi il y a plusieurs partis orphelins de leurs pères fondateurs sur le continent. Ils sont les seuls à pouvoir mettre la main à la poche pour payer les cautions à la candidature destinées aux plus riches. Et très souvent, nous savons qu’ils sont devenus riches devant nous en très peu de temps, en occupant de hautes
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fonctions dans les différents gouvernements. Ce sont des corrompus. Ayons le courage de le dire. Il n’y a que la vérité qui fera avancer le pays.
Il est temps d’essayer autre chose. Nous ne pouvons que prendre l’exemple sur les grands pays dits « démocratiques » du monde dans lesquels il y a bien sûr plusieurs partis. Mais en réalité, il n’y a que deux ou trois grands partis qui dominent la vie politique dans ces pays. Nous pouvons, nous aussi, avoir par exemple trois grands partis : un de gauche, un de droite et un autre au centre, (appelez-les comme vous voulez). Si les organisations politiques sont d’accord de réduire le nombre de partis, ce serait une bonne chose de voir émerger de grands ensembles. C’est d’ailleurs le cas en ce moment avec certaines plates-formes de partis qui sont créées. Ces regroupements ne pourraient que faciliter les élections à venir dans le pays. Après tout, ils sont sensés travailler pour le bien-être des Guinéens. Ils trouveront sûrement des affinités idéologiques et de programmes de bonne gouvernance dans ce sens entre eux pour se rassembler. Cela nous éviterait d’avoir des partis politiques à base ethnique, régionale ou linguistique. Un parti qui ne couvre pas tout le territoire guinéen n’a pas lieu d’être. À la suite des élections, si aucun des trois partis n’a la majorité absolue, une coalition de partis peut bien gouverner le pays. Cela est d’ailleurs souhaitable. Ce serait la meilleure représentativité de la nation guinéenne. Il faut, avant tout, apprendre à respecter les opinions des uns et des autres, à éviter les débordements quand on est tout seul dans la danse. Cette cohabitation des partis obligerait leurs dirigeants à être moins arrogants, à apprendre la courtoisie, à devenir vigilants et à être à l’écoute des autres. C’est un bon exercice démocratique. Après tout, tous les fils patriotes du pays travaillent pour le bien-être de la même population. C’est à la création de ces grands ensembles limités à trois que les partis politiques de la Guinée doivent s’atteler pendant la période de transition. Ce n’est qu’une proposition parmi tant d’autres.
Quant aux organisations de la société civile, elles doivent elles aussi se regrouper en grands ensembles. J’en vois au moins trois. Le premier groupe sera celui des syndicalistes, le deuxième, celui des associations œuvrant dans le domaine des droits de l’homme et de la citoyenneté et le troisième appartiendra aux organisations non gouvernementales (O.N.G.) qui travaillent dans le domaine du développement du pays. Il y en a peut-être d’autres. Nous savons que plusieurs organisations civiles sont affiliées aux partis politiques. Ce qui facilite leurs intégrations dans les grands mouvements d’ensemble. Même si certaines de ces organisations sont basées au niveau local et à l’intérieur du pays, (c’est-à-dire dans les villages, les districts et les préfectures,) elles peuvent relever d’un grand ensemble national qui aurait ses représentations sur toute l’étendue du pays. Essayons, pour une fois d’être grands et forts en se rassemblant comme le veut le CNRD.